vendredi 19 avril 2024

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Interprofessions : les CVO ne sont pas des aides d’Etat

Rarement verdict n’a été autant attendu dans le milieu agricole et agro-alimentaire français. Et rarement une décision de justice n’aura autant d’importance, et de conséquences au-delà de la chose jugée. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 30 mai, déclarant que les cotisations volontaires obligatoires (CVO) ne constituent pas une aide d’Etat, fera date.

Le contexte : un refus d’acquitter une CVO

La CJUE avait été saisie par le Conseil d’Etat français dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. La juridiction nationale devait elle-même trancher un litige entre une filiale du groupe Doux, une coopérative agricole et l’interprofession de la dinde (Cidef). L’argument des deux entreprises, qui refusaient de payer une CVO étendue, était que la cotisation étant une aide d’Etat, son extension aurait dû être notifiée à la Commission européenne.

L’interprofession est une association de droit privé

Pour la CJUE, la CVO provient d’opérateurs économiques privés, « mécanisme qui n’implique aucun transfert direct ou indirect de ressources d’Etat ». Et la Cour ajoute que « les organisations interprofessionnelles sont des associations de droit privé et qu’elles ne font pas partie de l’administration publique ». Pour la Cour, les autorités françaises n’agissent qu’en tant « qu’instrument » afin de rendre obligatoire les cotisations. « Ni le pouvoir de l’Etat de reconnaître une organisation interprofessionnelle, ni celui d’étendre à l ‘ensemble des professionnels d’une filière un accord interprofessionnel ne permettent de conclure que les actions menées par ce type d’organisation sont imputables à l’Etat ».

La FNSEA triomphe

La FNSEA a immédiatement réagi à cette décision de la CJUE pour s’en féliciter. « Jeu,set et match » écrit le syndicat agricole majoritaire dans un communiqué triomphant. Rappelant les « années de contentieux (.) inspirés par des motivations relevant davantage  de l’intérêt particulier ou de l’esprit de revanche que de l’intérêt collectif », la FNSEA « accueille avec une très grande satisfaction ce jugement qui couronne une longue bataille syndicale ». « Nous souhaitons maintenant que chacun tire les enseignements de ce jugement sans appel » conclut le syndicat qui ajoute que la stratégie, la gouvernance et le financement des interprofessions « relèvent de l’initiative privée ».

Des Conséquences Visibles et Etendues

Les conséquences de cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sont multiples. C’est d’abord la victoire de la rue de Varenne sur Bercy. En effet, depuis longtemps le ministère de l’économie défendait, contre l’avis du ministère de l’agriculture, que le caractère obligatoire de la CVO lui conférait un statut public. La CJUE vient d’infirmer définitivement cette thèse. L’ingénieur agronome a gagné contre l’inspecteur des finances ! Cette divergence de vues au sein même de l’administration française a laissé place à une incertitude juridique créatrice de nombreux litiges. « De nombreuses juridictions devant statuer sur le recouvrement de cotisations interprofessionnelles ont sursi à statuer dans l’attente de connaître la qualification qui serait reconnue par la Cour européenne » nous confiait un spécialiste de ces questions. La Commission européenne elle-même, qui voulait mettre son nez dans ce dossier des interprofessions à la française, se voit infliger un sérieux revers. L’arrêt du 30 mai va certainement obliger Bruxelles à revoir sa copie : la Commission souhaitait transcrire sa vision des interprofessions dans la réforme de la Pac. La Commission avait par ailleurs été saisie en 2007 d’une plainte de la FCD contre Val’hor, l’interprofession des fleurs et de l’horticulture, plainte qui visait en fait l’ensemble des interprofessions françaises. Cette plainte, et la décision d’ouverture d’enquête prise en janvier 2012 par la Commission, ne reposait que sur la notion d’aides d’Etat. L’ensemble de cette procédure devrait donc être invalidé par l’arrêt du 30 mai. Dernier point (pour l’instant) : en reconnaissant le caractère privé des interprofessions, la Cour règle aussi la question de la représentativité des familles qui la compose.