samedi 27 avril 2024

Visiteurs : 830 172   

Le principe interprofessionnel remis en cause par le Conseil d’Etat ?

Interfel, et l’ensemble des interprofessions, ont trouvé un drôle de cadeau au pied du sapin. Il s’agit d’une décision du Conseil d’Etat, datée du 22 décembre 2023, qui pourrait remettre en cause l’extension des accords interprofessionnels.

Au départ de l’affaire, il y a le refus, par le ministère de l’Agriculture, d’étendre l’accord interprofessionnel  » Kiwi Hayward – date de récolte et de commercialisation -maturité́  » relatif aux campagnes 2020-2022 conclu dans le cadre de Interfel. L’Interprofession décide alors de saisir le Conseil d’Etat pour contester ce refus. Avant de se prononcer, les juges du palais Royal décident de demander l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière s’est prononcée le 29 juin 2023 (arrêt C-501/22 à C-504/22 publié au JOUE du 14 août 2023). La décision de la CJUE est limpide : un Etat peut « rendre obligatoire » un accord pris par une interprofession. A ce moment là, Interfel pensait avoir partie gagnée.
Douche froide donc au pied du sapin, à la veille de Noël. Car le Conseil d’Etat va beaucoup plus loin que la CJUE (on se demande d’ailleurs pourquoi il a fait cette saisine !). L’article 5 de sa décision fera date. Si la CJUE reconnaît bien la possibilité à un Etat membre d’étendre un accord, cette extension « n’est pas obligatoire ». Et pour cause : il n’a jamais été question qu’elle le soit. Mais, ajoute le CdE, l’extension « constitue une simple faculté́ pour l’Etat membre concerné, lequel apprécie souverainement le caractère opportun de cette extension ». Depuis la création des interprofessions, dans les années 1970, le rôle de l’Etat se bornait à examiner la légalité d’un accord avant de l’étendre. Le voilà désormais juge de ‘l’opportunité’. Et comme si ce n’était pas suffisant, l’article 6 ajoute « qu’il appartient aux autorités nationales compétentes d’apprécier, sous l’entier contrôle du juge, si l’extension de l’accord présente un intérêt commun conforme à l’intérêt général ». L’intérêt général nous semble être une notion juridique assez floue…
Cette décision va bien au-delà du rejet d’un accord calibre sur le kiwi. Elle concerne l’ensemble des interprofessions françaises. Si l’Etat s’arroge le droit de juger de l’opportunité d’un accord, c’est le principe interprofessionnel même qui est remis en cause. L’Etat doit donc clarifier sa position. A quelques semaines du salon de l’Agriculture, il faudrait même qu’il le fasse vite.
Dernière remarque : la décision du CdE annulant la dissolution du mouvement Les Soulèvements de la terre (cf. notre Blog du 14 novembre) nous avait alerté. La décision ‘Père Noël’ renforce notre intuition : et si les décisions du CdE devenaient plus politiques que juridiques ?
OM